« La mer est un enjeu majeur pour nos enfants et notre société »
Aux côtés d'Olivier Chaline, historien, Sylvie Dufour, neuroendocrinologue et François Lallier, biologiste, l'amiral Christophe Prazuck dirige l’Institut de l'Océan de l’Alliance Sorbonne Université.
Cette nouvelle communauté de recherche a pour ambition de faire converger les sciences marines et maritimes et les grands enjeux économiques et sociétaux du XXIe siècle.
Entretien avec Christophe Prazuck et François Lallier.
Christophe Prazuck, vous avez été chef d’état-major de la Marine. Vous êtes également docteur en océanographie physique. Quelle vision souhaitez-vous apporter à ce nouvel institut ?
Christophe Prazuck : L’océan est un enjeu majeur pour nos enfants et notre société. Après quarante ans de navigation, je voulais garder une certaine proximité avec les questions maritimes tout en intégrant le monde de la connaissance et de la transmission que représente l’université.
En prenant la direction de cet institut aux côtés de mes collègues scientifiques, je souhaite partager mon expérience du monde maritime et apporter un regard différent, celui d'un praticien de la mer.
Comment s’est constitué l’Institut de l’Océan ?
François Lallier : Cet institut est né de la volonté de fédérer l’ensemble des acteurs des sciences océaniques et maritimes de l’Alliance Sorbonne Université. Après avoir déposé, il y a quelques années, un projet de laboratoire puis d’initiative d’excellence, nous avons profité de la dynamique impulsée par l'Alliance pour créer un institut pluridisciplinaire thématique. Avec Olivier Chaline, professeur à la faculté des Lettres, et Sylvie Dufour, chercheuse au Muséum national d’Histoire naturelle, nous avons réuni, en octobre 2019, les forces de Sorbonne Université, de cinq stations marines, du Muséum national d’Histoire naturelle, de la Marine nationale et de l’École navale. L’institut a vu le jour quatre mois après ce symposium de préfiguration.
Alors que commence en 2021 la décennie des océans, la création de cet institut coïncide également avec la nomination de Sorbonne Université à la tête du réseau français des universités marines pour un mandat de trois ans.
Quelle sont vos spécificités et vos forces par rapport à d’autres instances du monde marin comme l’Ifremer ou l’Institut universitaire européen de la mer ?
C. P. : Si ces instances ont une partie de nos caractéristiques, aucune ne les rassemble toutes. Avec près de 1500 enseignants-chercheurs, ingénieurs, techniciens qui travaillent dans les sciences marines et maritimes, l’Institut de l’Océan devient le premier acteur universitaire européen dans ce domaine.
Présent sur l’Atlantique, la Méditerranée et à Paris, il bénéficie d’une position stratégique à la fois dans le domaine de la recherche, de la formation et de l’expertise. Sa caractéristique est également de couvrir une palette de disciplines très large, allant de la paléontologie, à la géographie en passant par l’étude du climat ou de la biodiversité, etc.
Quel est le principal enjeu de l’Institut de l’Océan ?
C. P. : La mer et les océans ont de multiples facettes et un impact sur la façon dont nous vivons, mangeons et consommons. Ils sont au cœur des grandes problématiques de notre société comme le climat, la mondialisation, la biodiversité, l’énergie, la géopolitique, etc.
Aucune question cruciale pour notre société ne peut être résolue par une seule discipline. C’est pourquoi l’enjeu de l’institut est de croiser les compétences et les regards de spécialistes d’excellence, déjà reconnus internationalement dans leur domaine. Il ne s’agit pas d’ajouter une nouvelle structure administrative, mais de faire prendre conscience à des experts qui ne se connaissent pas nécessairement, du potentiel extraordinaire, presque unique au monde, que représente le rapprochement de leurs connaissances et compétences individuelles.
Suite au symposium de préfiguration, vous avez défini trois grands axes de recherche interdisciplinaires. Pouvez-vous nous les rappeler ?
F. L. : Le premier concerne la place de l’océan dans l’histoire de la Terre, de la vie et des sociétés. Le second porte sur les spécificités du milieu océanique et du littoral quant aux risques et adaptations aux changements globaux. Le troisième étudie l’expansion des circulations océaniques et maritimes sous toutes leurs formes et leurs implications tant écologiques que géopolitiques.
La science participative est aussi l'un de nos axes de développement. L’océan est une thématique qui mobilise nombre de citoyens prêts à s’engager pour mieux la comprendre et la préserver.
La pluridisciplinarité est au cœur des instituts. Comment l’encouragez-vous concrètement ?
F. L. : Notre stratégie est d’utiliser les contrats doctoraux pour favoriser les collaborations étroites entre disciplines et les laboratoires autour d’un projet de thèse de trois ans. Par ailleurs, dès que les conditions sanitaires le permettront, nous souhaitons mettre en place des rencontres thématiques autour d'un sujet interdisciplinaire pour faire émerger de nouvelles synergies.
La pluridisciplinarité est également au cœur des formations que nous dispensons. En 2021, nous allons ouvrir le diplôme universitaire Nemmo (Nouveaux enjeux maritimes, la mondialisation et les océans) porté par la faculté des Lettres de Sorbonne Université et le pôle enseignement du Centre d’études stratégiques de la marine. Cette formation pluridisciplinaire s’adresse à tous les professionnels qui gravitent autour du monde maritime et qui souhaitent renforcer leurs connaissances sur les enjeux que représentent les océans et les espaces maritimes pour nos sociétés.
Plus largement, nous espérons que l’institut devienne un lieu d'échanges entre les mondes universitaire, socio-économique et politique afin que nous puissions apporter notre expertise interdisciplinaire sur les grands sujets d’actualité liés à l’océan.