Prix de la publication de thèse: Emma Lavaut, candidate
La Fondation de la Mer et l'Institut de l'Océan s'associent pour récompenser les meilleures publications scientifiques de l'océan publiées par de jeunes chercheurs en délivrant le Prix de la Publication de Thèse.
Nous avons demandé à nos candidats de se présenter. Aujourd'hui, Emma Lavaut, doctorante en biologie de l'évolution à la Station biologique de Roscoff, nous présente ses recherches.
Emma Lavaut est lauréate ainsi que Clara Boulanger.
Bonjour Emma Lavaut, pouvez-vous nous présenter votre parcours?
J’ai effectué ma scolarité jusqu’au Lycée dans la Nièvre (58). Après mon bac je me suis dirigée vers un cursus académique car je voulais enseigner à l’université et j’ai toujours apprécié travailler en laboratoire. J’avais donc décidé de devenir enseignante-chercheuse et de réaliser une thèse.
J’ai fait une licence en biologie générale à Clermont-Ferrand, durant laquelle deux thématiques m’ont particulièrement intéressée : le monde microbien et la physiologie de la reproduction.
Mais voulant depuis toujours travailler sur des problématiques environnementales dans le milieu marin, j’ai réalisé un master dans ce domaine à Toulon. Durant ce master, orienté sur la biodiversité et les biomolécules marines j’ai particulièrement apprécié étudier l’impact anthropique sur les organismes marins. J’y ai retrouvé les thématiques qui me plaisaient en licence au travers de cours sur l’effet des polluants (métaux lourds, perturbateurs endocriniens, etc, …) sur les communautés microbiennes marines ou sur l’expression du sexe chez les poissons.
C’est toujours en restant sur ces deux thématiques, relativement éloignées mais tout autant intéressante, que j’ai réalisé un stage de master 1 sur l’effet des métaux sur une microalgue toxique, et un stage de master 2 sur le déterminisme du sexe chez la roussette.
A l’issue de ce master je n’ai pas obtenu de thèse et j’ai décidé de réaliser un deuxième master 2 à Perpignan, toujours dans le domaine marin, grâce auquel j’ai pu réaliser un autre stage sur l’effet des produits chlorés sur le picoplanton.
Suite à cela j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour défendre 3 sujets de thèse devant 3 écoles doctorales différentes, tous en lien avec le monde microbien, l’une de mes thématiques d’intérêt. Mais je n’ai été retenue sur aucun de ces sujets.
Après cela j’ai postulé sur un ultime sujet qui proposait d’étudier la reproduction, et plus particulièrement les modalités de rencontre entre les gamètes, chez les algues rouges de l’ordre des Gracilariales. Cela m’intéressait particulièrement car cela correspondait parfaitement à mon autre thématique d’intérêt : la reproduction. J’ai été choisi pour ce sujet que j’étudie maintenant depuis presque 3 ans et qui m’a permis de réaliser une découverte majeure à l’origine de l’écriture de mon tout premier article scientifique.
Quel est votre sujet de recherche?
Dans le milieu terrestre, la pollinisation animale occupe une place centrale : elle joue un rôle essentiel dans la reproduction des végétaux et est une composante fondamentale pour l’équilibre et le maintien des écosystèmes. Ce mode de pollinisation, résultant d’une coévolution entre les plantes et les animaux depuis plus de 140 millions d’années, serait une conséquence involontaire de l’activité alimentaire des animaux. En revanche, dans le milieu marin, où la reproduction est généralement externe, la rencontre entre les gamètes libérés dans le milieu est considérée comme étant essentiellement dépendante des mouvements d’eau. Chez les algues brunes et vertes, la production de phéromones permet d’augmenter considérablement le succès de fécondation par synchronisation de la libération des gamètes et par l’attraction des gamètes mâles flagellés par les gamètes femelles. Cependant chez les algues rouges, comme chez les plantes à fleur, la fécondation se fait sur la femelle et les gamètes mâles (spermaties) ne sont pas flagellés. Les mécanismes en jeu dans la reproduction chez les algues rouges demeurent méconnus : comment la rencontre des gamètes se réalise-t-elle ? Les interactions biotiques jouent-elle un rôle dans les fécondations ? Certains animaux peuvent-ils favoriser le transport des gamètes mâles vers les femelles ?
Mes travaux de thèse se sont intéressés aux interactions entre l’isopode Idotea balthica et l’algue rouge Gracilaria gracilis, souvent trouvées en association dans les cuvettes intertidales de substrat rocheux le long des côtes de la Manche. Afin de déterminer si la présence de cet isopode favorise les fécondations chez cette algue rouge, j’ai mis en place un dispositif expérimental en conditions contrôlées utilisant des femelles vierges de G. gracilis obtenues en culture et des isopodes élevés en laboratoire. Chez G. gracilis le succès de la reproduction peut être estimé simplement en dénombrant les structures spécialisées, les cystocarpes, qui se développent directement sur les femelles après la fécondation.
Dans ces expériences nous avons comparé le nombre de cystocarpes obtenus lorsque des mâles et des femelles de G. gracilis étaient incubés en présence ou en absence d’isopodes. Les résultats ont permis de montrer pour la première fois dans le milieu marin que des isopodes pouvaient favoriser la reproduction des algues. En effet, le succès des fécondations chez G. gracilis est 20 fois supérieur en présence des isopodes. De plus, l’analyse en microscopie confocale révèle que les idotées transportent les spermaties. Ces gamètes mâles adhèrent à la cuticule des pattes et des segments de l’abdomen. Ainsi, les idotées augmentent considérablement le succès reproducteur des algues en favorisant la diffusion des spermaties non seulement indirectement via leur activité de nage et leur respiration branchiale mais aussi en les transportant directement des individus mâles vers les femelles.
Cette association entre espèces pourrait être à bénéfice réciproque. Les idotées favoriseraient la fécondation et nettoieraient la surface des gracilaires en se nourrissant des épiphytes et en retour, l’algue constituerait une source de nourriture indirecte, un abri contre les vagues et une protection contre les prédateurs par mimétisme. Il devient alors essentiel de déterminer la place des associations végétaux-animaux dans le fonctionnement et la stabilité des écosystèmes, surtout à l’heure des changements climatiques.
Ces résultats sans précédent bouleversent notre vision de l’histoire évolutive des relations végétaux-animaux puisqu’ils suggèrent que le rôle des animaux dans la fécondation des végétaux en milieu marin pourrait avoir évolué soit en parallèle soit bien avant la colonisation du milieu terrestre.
Référence de l'article d'Emma Lavaut
E. Lavaut1, M-L, Guillemin, S. Colin, A. Faure, J. Coudret, C. Destombe, M. Valero, Pollinators of the sea: a discovery of animal mediated fertilization in seaweed. Sciences. A paraître.